INTERVIEW

(02/03/03 - Rennes)
C’est après une balance délicate à effectuer en raison du vide situé sous la scène faisant remonter le son dans le micro du chanteur que nous rencontrons Satyricon au grand complet dans les loges exiguës de l’Ubu, un instant avant que le groupe ne se disperse et nous laisse seuls avec un Satyr très loquace.
Par The Undertaker et The Butcher

 

Artefact : Avant de parler du cas Satyricon, parlons un peu de la place du black métal en Norvège si tu veux bien.
Satyr : ... plusieurs secondes passent... ok (ouf ! ndlr)

A : Tu dois savoir qu’en France contrairement à la Norvège, le black métal n’est pas exactement le type de musique qu’on peut entendre à la radio ou à la TV. Alors pour nous, voir que « Volcano », votre dernier album, a été couronné meilleur album de l’année dans deux quotidiens nationaux en Norvège relève du paranormal. Peux-tu nous expliquer comment le black métal en est venu à avoir une telle reconnaissance dans ton pays ?


Satyr
: Ce n’est pas arrivé par enchantement. On sait tous que les débuts de black métal se situent il y a 12 ans. Et au départ c’était vraiment un petit courant, alors totalement absent des media, qui avait plus d’impact hors de Norvège. C’est ensuite que Satyricon (ou plutôt moi) a commencé à utiliser les media quand nous avons sorti « Rebel Extravaganza » en 1999 pour générer un intérêt auprès d’un public plus large. J’ai donc donné beaucoup d’interviews que je n’aurais jamais données avant pour que le black métal soit plus reconnu dans son propre pays. Il en a résulté plus de passages à la radio et un intérêt plus grand des émissions musicales pour la scène black. C’est à ce moment que les gens ont réalisé le sérieux des shows et le professionnalisme de cette scène, et que le black à commencé à être perçu comme il se doit et à être véritablement respecté. Mais au départ, c’était comme en France, il était inimaginable d’entendre du black métal à la radio. Si c’est finalement arrivé, c’est principalement grâce à Satyricon qui était le seul groupe à s’adresser aux gens extérieurs au métal pour en quelque sorte les éduquer à cette musique. Il a fallu répondre à beaucoup de questions bêtes pour expliquer aux gens ce qu’est le black et éveiller leur intérêt pour cette musique.
Ce qui s’est passé en fait, c’est que les gens qui étaient intéressés par la scène rock en général de Queens Of The Stone Ages au punk rock en passant par Slayer ont ouvert leurs yeux et leur oreilles, ont écouté « Rebel Extravaganza », ont trouvé ça bien et se sont penchés sur Emperor, Immortal, Mayhem etc. Tout ceci a lancé un cercle vertueux pour le black métal norvégien, car il existe des fonds culturels qui récoltent de l’argent grâce aux diffusions radio et qui ensuite le redistribuent aux groupes qui demandent une aide pour faire des tournées en Europe. A l’époque, il était impossible pour un groupe de black de recevoir une telle aide car ils ne finançaient tout simplement pas les groupes de black. Désormais, c’est possible ! Satyricon, Mayhem, Dimmu Borgir, Immortal reçoivent de l’argent de ces fonds culturels pour faire leurs tournées européennes.
Mais pour en arriver là en France, il faut que quelqu’un prenne le bouc par les cornes et fasse ce travail d’éducation du public.


A : Est-ce que tu penses que signer avec EMI Norvège vous a aidé à atteindre la reconnaissance (légitime) que vous connaissez aujourd’hui avec « Volcano » ?

S : Je crois surtout que ça aide notre distribution (rires). Je me souviens pendant la tournée avec Pantera, alors que nous étions chez Nuclear Blast, nous jouions à Lyon, et je suis allé au Virgin qui est immense mais pas moyen de mettre la main sur « Rebel Extravaganza » ! ça m’a vraiment foutu en rogne parce que je me disais que si un fan de Pantera appréciait notre show et voulait se procurer l’album il ne le trouverait pas ! Quand tu es fan de black, tu connais d’autres moyens pour te procurer des albums de black comme la VPC ou les magasins spécialisés, mais quand tu n’es pas dans ce milieu tu vas au plus simple, à savoir dans un magasin de disques... L’avantage avec EMI, c’est que dans la plupart des cas on trouve « Volcano » chez les disquaires.

A : Maintenant parlons musique. Sur « Volcano », vous avez intégré des rythmes nouveaux pour du black métal et tu as dit dans des interviews que pour toi les racines du black sont dans le rock and roll. A quels groupes fais-tu allusion ?
S : Par exemple Bathory et Venom. Je crois qu’ils sont très rock and roll. Mais on en revient toujours à Black Sabbath en fait. Par exemple, Quorthon (monsieur Bathory) considère son groupe comme Motörhead sous speed... Il y a plusieurs façons d’envisager le black métal. Certains groupes ont leurs racines dans le heavy métal d’autres dans le rock comme Satyricon ; mais « rock » peut vouloir dire beaucoup de choses...

A : Est-ce que ces rythmes rock and roll donc, sont à l’origine du concept de « Volcano » ou est-ce venu au cours de l’écriture de l’album ?

S : L’idée forte de « Volcano » était de faire l’album le plus sombre de Satyricon. Tous nos albums ont été sombres à leur façon, ce que j’ai essayé de faire avec « Volcano » c’est de rassembler ces différentes approches en un seul cocktail Molotov, faisant de « Volcano » un album extrêmement sombre et atmosphérique avec en même temps une approche très directe et « dans ta face ». Une part de mon inspiration est venue de ma réflexion sur les autres musiques ; c’est comme ça que ça marche avec ce groupe.

A : Tu as commencé Satyricon très jeune, à l’age de 15 ans ; qu’est-ce qui a changé dans ton approche de la musique ?

S : Je pense que mon approche est plus analytique et professionnelle bien que toujours passionnée ; c’est toujours l’envie d’écrire une musique sombre et agressive qui est mon moteur. Je suis par ailleurs resté un fan de musique et j’en écoute beaucoup.

A : Quand as-tu commencé à réaliser que Satyricon allait faire partie de l’histoire du black métal ?

S : Relativement tôt, dès notre premier album qui était vraiment quelque chose de nouveau et qui ne sonnait comme rien d’autre avec ce côté médiéval peu courant à l’époque. Chaque album de Satyricon a exploré de nouveaux territoires ce qui confère à chacun sa propre de marque de fabrique en quelque sorte. A chaque fois, nos albums ont fait hausser les sourcils des gens et ont attiré leur attention ; c’est la nature du groupe et c’est ce qui explique en partie son succès.

A : Est-ce que tu as toujours le même plaisir à jouer vos anciens morceaux ?

S : Oui. Ça dépend... je ne joue pas mes morceaux à la maison, j’utilise la guitare comme un outil de composition et pour enregistrer. Par exemple je n’ai pas joué les morceaux de « Volcano » depuis l’enregistrement de l’album (Satyr se contente de chanter sur scène ndlr). Je ne joue pas souvent de guitare parce que je ne trouve pas ça tellement amusant ; j’aime écrire et enregistrer ma musique. Mais quand il s’agit de jouer mes morceaux en live, c’est différent : évidemment plus tu joues une chanson plus tu vas te lasser mais en même temps c’est toujours un coup de pied au cul. J’ai joué « Mother North » un nombre incalculable de fois mais c’est toujours avec plaisir parce que je me nourris alors de l’énergie du public.

A : Quel message veux tu faire passer dans tes textes ? Quelle est la philosophie de Satyricon ?

S : Mes textes sont une réflexion de ma propre personnalité. Ils ont changé au fil des ans ; jeune j’écrivais sur les choses contre lesquelles j’étais. Désormais j’écris plus sur les choses en faveur desquelles je suis.

A : Parlons maintenant du futur de Satyricon. Est-ce que tu as déjà une idée de la direction que va prendre ta musique pour le prochain album ?

S
: J’y ai déjà un peu pensé, mais c’est encore un peu tôt... On a bossé longtemps sur « Volcano », on est encore dedans et on va encore tourner un moment jusqu’à la fin de l’année... j’ai quelques idées qui me trottent dans la tête, mais ce n’est pas le moment de révéler quoi que ce soit surtout parce que cela risque encore de beaucoup évoluer quand on commencera à écrire le prochain album.


A : Tu as maintenant 27 ans et à ce titre on peut te considérer comme un vieux de la vieille du black métal. Comment décrirais-tu l’évolution de ce style depuis ces débuts ?

S : Beaucoup de choses ont changé dans les 10 dernières années. Au départ c’était un petit cercle de personnes qui se connaissaient toutes. A l’extérieur de cette « petite société secrète », personne ne comprenait ni ne savait ce que nous faisions. C’était bien dans le sens où c’était quelque chose de réservé aux heureux élus... il y avait une atmosphère spéciale et une sorte de mystère entourait cette scène en Norvège. Quasiment tous les albums sortis à cette période étaient excellents. Des tas de classiques sont issus de cette période. Au fur et à mesure que le black devenait plus répandu, vers la fin des années 90, il a perdu une part de son mystère mais en même temps ça a offert l’opportunité aux musiciens de faire des shows et d’enregistrer des disques et aux fans de se procurer les disques plus facilement.

A : Beaucoup de groupes incorporent désormais beaucoup d’influences extérieures aux black métal : de la musique classique pour Dimmu Borgir ou Cradle Of Filth par exemple, de l’indus sur votre album précédent « Rebel Extravaganza », de la techno pour d’autres, du heavy pour Children Of Bodom... A ton avis est-ce que cela peut marquer l’arrivée à maturité du black métal ?

S : (sourire) oui... ça peut vouloir dire plein de choses en fait : ça peut vouloir dire que le black métal a plus de directions et de possibilités d’expression qu’avant et qu’à se titre il est plus mature, d’une autre côté ça peut aussi signifier qu’il a perdu une part de sa pureté et de ce qui le rendait si spécial. Je pense par exemple que bien que nous y ayons amené une patte qui appartenait à une autre scène sur « Rebel Extravaganza », cet album n’en demeure pas moins l’album le plus black métal que Satyricon ait fait ; c’est le plus haineux, agressif et intense que nous ayons fait. A mon avis, la raison pour laquelle certains fans de black métal étroits d’esprit ont critiqué ce disque c’est que l’intégration d’éléments issus de la musique industrielle a rendu la musique si heavy, si extrême que c’en était trop pour eux. Et au lieu de reconnaître que c’était plus qu’ils n’en pouvaient entendre, ils ont trouvé plus simple de dire que ce n’était pas du black métal. C’est ce que je pense car si tu écoutes Children Of Bodom par exemple : ce n’est pas extrême ! Children Of Bodom c’est de la pop-music avec des guitares distordues ! ce n’est pas extrême du tout. Il y a plein de types qui se prétendent « true metal fans » et qui ne jurent que par Stratovarius... Stratovarius n’est pas métal, Stratovarius c’est de la pop music. Tu connais le terme de « power pop » ? comme Nickelback par exemple. Pour moi, Stratovarius n’est pas plus métal que Nickelback. Je pense qu’il y a plein de « metal fans » qui sont en fait fans de pop music sans s’en rendre compte ! (rires)

A : Le problème en fait vient de la définition même de ce qu’est le black métal. Pour les prétendus « true black metallers », le black métal se résume à des vocaux hurlés sur fond de blast beats et point à la ligne...
S : Pour moi le black c’est une musique sombre et extrême avec des textes sombres et extrêmes et une imagerie sombre et extrême... c’est comme ça que je le définis. Si un groupe sonne intense, sombre et agressif avec des textes et une image à l’avenant, alors pour moi c’est du black métal. Mais le plus simple pour savoir si tel ou tel groupe est black ou pas c’est de me faire écouter leur musique et là je pourrais te dire ce qui est et ce qui n’est pas du black métal à mes yeux. Si on reste en Norvège par exemple, Immortal, Dark Throne sont des groupes de black métal, Mayhem aussi : bien qu’ils soient devenus assez progressifs ils restent extrêmes et sombres. Dimmu Borgir était un groupe de black ; ils gardent une approche black de leur musique, mais pour moi ils font plus quelque chose comme du heavy gothique. Je n’aime pas ce qu’ils font, mais je trouve qu’ils sont bons dans ce qu’ils font et qu’ils sont notamment meilleurs que Cradle Of Filth qui sonne moins vrai qu’eux. Mais pour moi c’est trop heavy et gothique pour les considérer comme faisant du black métal. C’est ma propre perception des choses, mais le black se perd quand il commence à devenir gothique. C’est une voie que ne prendra jamais Satyricon. Je suis farouchement contre toute forme de musique gothique (sourire) ; c’est ennuyeux, ces histoires de romances larmoyantes où tout a l’air si triste, il y a des pleurs et blabla... (air dégoûté). Ça n’a absolument rien à voir avec l’énergie du black métal.

A : A ton avis, quel sera le futur du black métal ? Est-ce qu’il va continuer à prendre de l’ampleur ou va-t il régresser ?

S : Pour moi le black métal deviendra ce que les groupes pionniers du genre en feront. Ce sont eux qui influencent les autres groupes et par conséquent, ce sont eux qui définiront par leur musique quel sera le son du black métal à l’avenir. Mais je ne pense pas que ces groupes eux-mêmes, comme Satyricon, savent actuellement ce que sera leur musique dans le futur. Seul l’histoire le dira...

A : Penses-tu jouer du black métal encore longtemps ? Te vois-tu en jouer encore dans 10 ans ?

S : Tant que je voudrais et que ma passion sera présente.

A : Tu penses qu’il est possible de se lasser de jouer du black ?

S : Oui.

A : Est-ce que c’est un terrain d’expression trop restreint ?

S : Non je pense pas que le black soit trop étroit pour s’exprimer. Ma vision du black c’est que tout ce que je fais c’est du black métal. Je suis l’un de ceux qui définissent ce que ce style doit être, donc je reste très libre. Mais oui, je pense qu’il est possible de se lasser de cette musique mais encore aujourd’hui, je suis très passionné et j’adore ce que je fais. Tu peux finir par te lasser si tu n’as pas en permanence l’envie d’atteindre de nouveaux sommets. Moi j’ai encore cette hargne, mais le vrai problème, c’est que plus un groupe devient important, plus la pression extérieure augmente. Au départ il était juste question de jouer de la musique, mais aujourd’hui, j’ai des responsabilités, il faut lire et signer les contrats, prendre des décisions etc. ce qui n’est pas franchement amusant et qui a tendance à m’éloigner de la musique. Mais comme je veux décider de l’avenir du groupe et garder le contrôle du cap je fais tout moi même contrairement à d’autres groupes qui délèguent des choses, ce qui leur permet de subir moins de pression et de s’amuser plus, mais par contre, ils ne sont plus tout à fait les maîtres de leur destin. Par exemple, je ne veux pas que ma maison de disques choisisse pour moi un photographe. Je préfère prendre le temps de regarder les porto folios des photographes et en choisir un moi-même. Beaucoup ne font pas cet effort. Moi je m’investis dans tous les aspects des choses.

A : Tu es très occupé en ce moment entre cette tournée, la promotion de « Volcano » et la gestion de ton label Moonfog... As-tu le temps de travailler sur ton projet parallèle Eibon ? (ndlr : regroupant Fenriz de Dark Throne, Kiljoy de Necrophagia, Maniac de Mayhem et … Phil Anselmo de Pantera)

S : On a enregistré 4 titres il y a longtemps et ils étaient excellents. J’ai longtemps voulu terminer l’album Eibon, mais le problème est que j’ai été très occupé avec « Volcano » et surtout qu’après la tournée, Phil Anselmo a donné la priorité à son propre side-projet.

A : Enfin, pour terminer, comment décrirais-tu Satyricon en trois mots ?

S : Je sais ce que notre ingénieur du son dirait ; il dit toujours « Puissance, sexe et agression » (rires). Pour moi c’est « ténèbres, agression et élitisme ».

A : Qu’as-tu envie de dire aux lecteurs d’Artefact ?

S : Je sais pas trop. J’aurais tendance à vous encourager tous à venir à nos concerts et à vous pencher sur « Volcano » qui représente ce qu’est actuellement Satyricon : Volcano est notre message ! (rires)

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