INTERVIEW



Interview de Stéphane Buriez par The Undertaker, lors du concert de Loudblast à l'Ubu, à Rennes le 20 Mars 2004.
 

Loudblast est en train d’effectuer un retour en force avec Planet Pandemonium, et c’est en ce début de tournée qu’ARTeFACT est allé questionner Stéphane Buriez, grand personnage du métal hexagonal depuis les années 80 de par sa carrière de musicien et son intense travail de producteur aujourd’hui...

ARTeFACT: Comment se passe le come-back de Loudblast pour l’instant?
Stéphane Buriez : On n’est pas revenu pour se branler la nouille ! On ne peut en parler qu’en positif pour l’instant, ce n’est que le troisième concert de la tournée ce soir et les deux qu’on vient de faire se sont très bien passés. Je n’ai pas encore de chiffre pour l’album mais je sais qu’on est rentré immédiatement dans le top des ventes. C’est très valorisant pour nous, d’autant plus qu’on fait cela vraiment pour se faire plaisir. Ce retour n’est pas gagné d’avance, mais on est satisfait à 100% de l’album, et la tournée s’annonce très bien !

A : Est-ce un renouveau complet par rapport à ce que vous faisiez avant, ou ce retour s’inscrit-il dans la continuité des précédents albums ?

SB : On ne peut pas ignorer ce laps de temps de cinq ans pendant lequel le groupe s’est arrêté, mais ce n’est pas comme s’il y avait eu un trou spatio-temporel ! On a pu développer les choses à côté, comme Hervé avec Black Bomb A ou moi-même avec la production. 


A : Peux-tu nous parler de ce nouvel album Planet Pandemonium…

SB : ça reste du pur Loudblast sachant qu’on revient peut-être à nos bases sur un plan musical, c’est-à-dire influencé par le thrash-death qui a fait notre musique. C’est un album plus brutal que Fragments par exemple qui est plus heavy et plus mélodique. Album qu’on ne renie pas du tout d’ailleurs. C’était une période charnière du groupe… Mais ce n’est pas cet album qu’on retiendrait dans notre carrière même s’il y a des titres qu’on aime vraiment dessus. Aujourd’hui je retiendrais plutôt Sublime Dementia, mais il faut laisser le temps au temps. Il y a plein de gens qui attendent toujours qu’on fasse la même chose, mais quel est l’intérêt de faire une redite de ce que t’as déjà fait ? On n’a pas reformé le groupe pour vivre sur notre passé, c’est hors de question ! Maintenant, sur scène, on joue quatre des nouveaux morceaux mais on fait la part belle aux anciens, c’est normal quand on a sept albums derrière soi. De toutes façons, c’est impossible de dire que ce n’est plus du Loudblast car c’est toujours les mêmes personnes et le même compositeur.


A : Quels thèmes aborde l’album ?

SB : Sans être politiquement ciblé, on parle de la grosse poubelle qu’on va laisser à nos enfants, c’est-à-dire la Terre. La mondialisation à outrance fait que depuis un siècle, tout espèce d’idéal de vie en commun et de choses partagées n’est plus possible. On en parle beaucoup mais on n’a pas le pouvoir de changer les choses, on est des pauvres pantins qui ne peuvent que constater. L’Homme est la source des maux de ce monde par sa cupidité, l’argent etc. On croit qu’on a le pouvoir de maîtriser ça, mais on a oublié les vraies valeurs et les religions ne nous ont pas aidé. Les vrais Dieux sont les choses qui nous entourent et ce grâce à quoi on peut vivre.


A : L’enregistrement n’a-t-il pas été difficile à concilier avec ton activité de producteur ?

SB : On s’est organisé pour travailler intelligemment, je travaille sur les compositions depuis déjà deux ans en m’aménageant des plages. Je pars même en vacance avec mon quatre pistes ! Je pense que c’est un boulot où il ne faut jamais s’arrêter. Pour l’album, on a défini depuis un an des moments pour répéter une fois par mois, et on a vraiment finalisé les compositions en septembre. La majorité des titres ont quand même été composés entre juillet et octobre, quatre ou cinq étaient déjà faits avant. Et l’album a été finalisé en décembre. 


A : Qu’est-ce qui vous a conduit à avoir un son finalement assez hardcore sur Planet Pandemonium ? 

SB : C’est le fait qu’on a toujours été très ouverts, on ne s’est jamais limité à un seul style, que ça soit du death, du heavy, du hardcore, du punk, du reggae ou même de la chanson française. Il y a du bon dans chaque musique. Maintenant c’est sûr qu’à dix-huit / dix-neuf ans tu as envie d’appartenir à une caste, et c’est sans doute à cette période que l’on a été le plus fermé, mais globalement Loudblast est un groupe ouvert.


A : As-tu été influencé par les groupes que tu as produits ?

SB : Non, j’arrive vraiment à faire la part des choses à ce niveau là. Je ne mélange pas mes activités, et si les groupes viennent chez nous c’est pour avoir quelque chose d’unique. Ca ne m’influence pas mais ce n’est pas pour ça que je n’aime pas ces groupes ! Le Inside Conflict par exemple a été enregistré et mixé en douze jours ce qui représente beaucoup de boulot pour seize titres. Donc c’est avant tout une histoire d’affinités


A : Inside Conflict nous confiait justement [cf. interview dans ce numéro] qu’ils étaient venu au LB Lab dans l’idée d’avoir un son « roots », ce qui n’est pas vraiment dans tes habitudes… 

SB : Oui, mais en même temps leurs nouveaux morceaux étaient plus death qu’avant donc ça m’a permis de faire un son plus orienté old school Tampa, ce genre de choses. Si un groupe vient et me dit « on veut tel son » et que ça ne me convient pas, ils ont possibilité d’aller vers d’autres studios. Je prends les choses à la racine pour ne pas changer l’identité du groupe, sauf quand un groupe arrive sans rien où là il faut chercher ce qui convient. C’est de moins en moins le cas car les groupes connaissent mon travail et savent où ils veulent aller.


A : Est-ce que tu n’as pas le sentiment de devenir le Peter Tägtgren Français ? 

SB : C’est vrai qu’on ne peut pas ouvrir un magazine sans qu’il y ait un album que j’ai produit dedans. Je travaille beaucoup et si le public veut que mon boulot devienne une référence, c’est une grande fierté et j’en suis évidemment très heureux. La marque de qualité du LBLab est de respecter l’identité des groupes, et tu verras que si tu mets bout à bout par exemple le Inside Conflict, le S-Core, le Loudblast ou le BBA, les productions ne se ressemblent pas du tout. J’ai pas envie d’uniformiser les choses comme ça s’est fait au Morrisound à un moment. On ne peut pas comparer ce qui se passe aux Etats Unis et ce qu’il y a ici, mais pour y avoir séjourné quelque temps je sais qu’en terme de culture on est plus ouvert. Pour le son, je bosse à la fois en numérique et en analogique, mais j’enregistre tout en numérique avec de très bons convertisseurs et je travaille sur Logic Audio. Néanmoins il faut savoir que l’analogique revient beaucoup plus cher donc le numérique est plus accessible et offre une meilleure souplesse. J’essaie de garder la couleur de l’analogique en utilisant beaucoup de périphériques à lampes, c’est mieux pour le rock. 


A : Trouves-tu justifié qu’un groupe puisse aller vers quelque chose d’inhabituel voir choquant en terme de création, quitte à avoir un son inattendu ou décevant ?

SB : Justifié je ne sais pas… On est tous fans de Metallica d’une façon ou d’une autre, j’ai commencé à m’intéresser au speed métal quand j’ai chopé Kill’em All en import US alors qu’il n’était pas encore sorti en Europe. J’ai pris la grosse claque de ma vie avec ça et Slayer, c’est là que je me suis dit c’est cette musique là que j’aime et c’est ça que je veux faire. J’ai écouté le dernier album de Metallica et j’ai pris le parti de ne pas le classer car je vois pas qui je suis pour juger Metallica. James Hetfield reste un grand Monsieur et un grand chanteur, mais ce n’est pas cet album de Metallica que je retiendrai. Je n’approuve pas le choix de son, je trouve que ça dessert plutôt le groupe, et je ne comprends d'ailleurs pas qu’un mec comme Bob Rock ait pu faire ça après le black album. Mais c’est sûr qu’on est pas à leur place. Au final, je préfère regarder le DVD…


A : Penses-tu que Planet Pandemonium puisse séduire les fans de death du début des années ’90 ?

SB : J’espère ! Mais on n’a pas fait l’album en se disant « Ah ! Il faut qu’on ratisse large !». On a fait ce qu’on voulait et si ça plait tant mieux, sinon tant pis. Dans le public on voit des fans d’il y a cinq ou dix ans, mais on voit aussi des gamins qui viennent de la scène néo-métal. Pendant un moment c’était une maladie d’avoir les cheveux longs et de s’habiller en noir, mais la roue tourne et un public plus large s’ouvre vers d’autres choses. La scène métal n’est pas la plus prolifique même s’il y a plein de bons groupes, et c’est tant mieux si plus de gens viennent vers le métal. Ça nous fait plaisir d’avoir une bonne chronique dans Rock Sound et de ne pas être classé comme un vieux groupe. On fait de la musique pour que le maximum de gens l’écoute, et en ayant eu la chance de commencer notre carrière à dix-sept ans, on n’a pas de leçon à recevoir. Et les donneurs de leçons ne seront plus là quand nous on sera encore là ! (rires) 


A : Votre conception de la Femme a-t-elle évolué autant que votre musique ?

SB : Ce qu’on a fait auparavant n’avait rien de macho dans l’esprit, c’était juste du visuel. On respecte les nanas, on est tous marié et on a des gamins. On sait à quel point c’est dur d’être une femme, et surtout une femme de musicien. Les mecs sont des grands enfants, et on se rend compte qu’on manque de maturité face à la gente féminine. Et puis esthétiquement parlant, un corps de femme est beaucoup plus beau que celui d’un mec.


A : Planet Pandemonium album arrive à une période où le thrash semble revenir en force…

SB : Il a toujours été là, mais c’est clair qu’aujourd’hui il y a un effet de mode avec la re-formation de certains groupes [ndlr : Exodus et Death Angel de la Bay Area par exemple]. Le public plus jeune qui n’a pas connu cette époque a donc l’occasion de découvrir des groupes comme Testament qui ont fait ce que notre musique est aujourd’hui.


A : Tu as connu une époque où le milieu était peu médiatique, penses-tu que le mot « underground » veuille encore dire quelque chose aujourd’hui ?

SB : Être underground c’est quoi ? Vendre cent cinquante démos ? Si tu en vends plus ce n’est plus underground ? Notre style est underground par définition car même si on vend quinze ou vingt mille albums, cela reste ridicule à côté de certains trucs. Maintenant à l’intérieur du sous-ensemble, l’espèce de bataille pour être plus ceci ou plus cela que l’autre est finie depuis longtemps. En fait ça ne veut pas dire grand chose car ça dépend à quelle échelle tu te places. Et à partir du moment où tu as ta tronche dans les magazines, où tu vends quelque chose, où tu fais des concerts, ce n’est plus underground car des gens te voient. On peut dire qu’être underground, c’est ne pas vivre de la musique ce qui est quand même à la base le but du jeu, donc c’est paradoxal et stupide puisque quand tu as la chance de pouvoir vivre de ta passion, tu fonces.


A : Votre contrat actuel vous donne-t-il la même liberté artistique qu’auparavant ?

SB : Plus que jamais ! Boycott Records et Next Music sont totalement indépendants, on est producteur de l’album et on a déjà été signé en tant qu’artiste donc en aucun cas on ne se fera baiser par le système.


A : Penses-tu avoir assez de poids pour revaloriser la France sur la scène internationale ?

SB : J’ose l’espérer ! On bénéficie d’une bonne distribution en Europe et aux Etats-Unis, l’album est exploitable mais je ne vends pas la peau de l’ours…


A : Est-ce que le marché n’est pas saturé par le nombre d’albums pressés à quelques centaines d’exemplaires qui sortent régulièrement ?

SB : A une époque ils n’auraient pas été jusqu’au stade de l’album, c’est la facilité actuelle qui fait qu’ils se retrouvent dans les bacs, il y a dix ans ça aurait été juste une bonne démo. C’est clair que le marché du disque se porte mal, tu vas retrouver aux même prix des CD qui ont un son qui fait « pouët pouët» et qui vont être pris comme album alors que ce sont en réalité juste de bonnes démos. Le marché a évolué comme ça et c’est un peu tard pour y penser, les choses vont forcément changer car certains ne pourront pas tenir. On va pas pouvoir continuer à produire comme ça et à tout télécharger sur le net. On a rien lâché avant la sortie de l’album, et pourtant le jour même il était sur le net. Il était même avant dans les bacs car certaines grosses boîtes ne respecte pas les dates qu’on a fixées.


A : Internet n’a-t-il pas aidé le métal à sortir de l’anonymat, avant de tuer les ventes de disques ?

SB : C’est à la fois bien dans le sens où ça fait connaître, et pas bien. Ma musique est mon business, mon gagne-pain, c’est comme ça que je vis. Je suis radicalement contre l’échange de fichier, pour nous vendre cinq mille ou dix mille albums ça change tout. Déjà qu’on ne touche pas grand chose sur un album, ce qui sera téléchargé sera de l’argent qu’on ne touchera pas. Je suis contre le téléchargement et je n’encourage personne à graver. En plus avant on faisait la démarche pour obtenir ce qu’on voulait : c’est en faisant du « tape-trading » que j’ai rencontré les mecs de Sepultura et de Morbid Angel, ça n’avait évidemment pas la même ampleur mais ça construisait des relations humaines ce que toute cette facilité tue.


A : Qu’est-ce que vous avez prévu concernant l’avenir proche ?

SB : On a une trentaine de dates prévues jusque mi-juin, quelques une courant juillet. On fait un break en août-septembre, et on reprend courant octobre. Hervé tourne en plus avec BBA et j’ai des productions de prévues. Un autre album suivra rapidement, ce n’est pas un retour « Salut les gars, on vient prendre de la thune et on se casse » ! On est là pour revendiquer avec fierté ce nouvel album, et on verra ce que l’avenir nous réserve.


A : Loudblast en trois mots…

SB : Toute ma vie !

Chronique du concert du 20 Mars 2004 à Rennes

Site Officiel : www.loudblast.net

Back Home